O fat obas dans les deux versions

Nous avons effrontément emprunté à Wikipédia les deux versions ci-dessous. Le lecteur intéressé les aura déjà rencontrées, il nous faut donc une justification pour cette infâme multiplication des copies : Nous allons tenter ici de relever les différences entre les deux versions et de les expliquer (ces différences et parfois aussi ces textes). D’abord, les deux versions:

1880 Schleyer Volapük 1930 de Jong Volapük
1. O Fat obas, kel binol in süls, O Fat obas, kel binol in süls!
2. paisaludomöz nem ola! Nem olik pasalüdükonöd!
3. Kömomöd monargän ola! Regän ola kömonöd!
4. Jenomöz vil olik, äs in sül, i su tal! Vil olik jenonöd, äsä in sül, i su tal!
5. Bodi obsik vädeliki givolös obes adelo! Givolös obes adelo bodi aldelik obsik!
6. E pardolös obes debis obsik, E pardolös obes döbotis obsik,
7. äs id obs aipardobs debeles obas. äsä i obs pardobs utanes, kels edöbons kol obs.
8. E no obis nindukolös in tendadi; E no blufodolös obis,
9. sod aidalivolös obis de bad. ab livükolös obis de bad!
10. (Ibä dutons lü ol regän, e nämäd e glor jü ün laidüp.)
11. Jenosöd! So binosös!

1. Notre Père qui est aux cieux,

Pas de différence. Les deux traductions utilisent le tutoiement, pas de fantaisie.

2. Que ton nom soit sanctifié.

2a: On a pour ton ola ou olik. Les deux pronoms sont interchangeables. L’un est un adjectif (-ik) l’autre un génitif(-a). Schleyer qui est très sensible à l’euphonie recommande ola devant les consonnes et olik devant les voyelles. On voit que la version nulik ne respecte pas cet usage puisqu’on a olik devant une consonne. De Jong accepte pourtant les deux formes, puisque la ligne suivante a chez lui ola.

2b: paisaludomöz vs pasalüdükonöd. D’abord le i, qui disparaît chez de Jong. Il s’agit d’un aspect aoriste. Comme je n’ai toujours pas une maîtrise suffisante du grec ancien, je me contenterai de dire que les grammaires de volapük anglophones le traduisent en ajoutant un adverbe comme toujours. Le verbe utilisé est ludön chez Schleyer et lüdükön chez de Jong. Tous deux utilisent un participe passif présent (préfixe pa-) à la troisième personne du singulier. Mais cette troisième personne est un masculin générique –om– chez Schleyer, un usage (que certains ont jugé sexiste) qui disparaît en nulik, largement remplacé par le neutre –on-. Enfin le mode utilisé. En rigik on a trois types d’impératifs: –ös, qui est de l’ordre du souhait et une manière polie de demander quelque chose; –öd, qui est un impératif simple, forme retenue par de Jong; et enfin le jussif –öz, la forme la plus impérieuse, préférée ici par Schleyer.

3. Que ton règne vienne.

Juste une différence de vocabulaire. Schleyer a monargän (Qu’on ne trouve pas dans son dictionnaire de 1888), de Jong a regän, plus proche du verbe regön, régner.

4. Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

4a. jenomöz vs jenonöd: Le verbe jenön (Alld: geschehen) est identique, et comme à la ligne 2, Schleyer préfère le jussif –öz tandis que de Jong choisit l’impératif simple –öd. De même la volonté (vil) est masculine générique (-om-) chez Schleyer, tandis que son genre grammatical est neutre (-on-) en nulik.

4b. äs in sül vs äsä in sül: le mot traduisant comme est à peu près le même. Nous avons d’abord pensé que Schleyer, toujours soucieux d’euphonie utilisait äs devant les voyelles et äsä devant les consonnes, mais son dictionnaire n’a pas äsä du tout. Il doit donc s’agir d’une innovation de de Jong.

5. Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.

vädelik vs aldelik: Des versions plus traditionnelles ont quotidien, c’est cet adjectif que Schleyer et de Jong rendent ici.

6. Pardonne nous nos offenses,

debis vs döbotis: Différence de vocabulaire. Le latin a ici debita, les deux mots s’en rapprochent.

7. comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensé

7a. äs id obs vs äsä i obs: On retrouve ici la différence äs/äsä vue en 4. Le aussi est rendu par id chez Schleyer, c’est le même i que chez de Jong, mais avec une complication euphonique, afin que les voyelles ne se heurtent pas les unes aux autres.

7b. aipardobs vs pardobs: De Jong est plus simple et laisse tomber l’aoriste –i-, ce qui  permet de laisser tomber aussi le a– du présent.

7c. debeles obas vs utanes, kels edöbons kol obs: Schleyer connait deb, et construit debel, celuit qui fait des dettes. De Jong n’aime pas –el pour désigner des personnes autres que des professionnels. Il a pour cela –an, qui existe aussi en rigik, d’ailleurs. Il n’a pas voulu de deban, pour une raison que nous ignorons, et construit donc une longue périphrase. Nous pardonnons à utanes: Ut: celui-même, –an-: il s’agit d’une personne, –e-, datif, –s pluriel: à ceux-là mêmes. Ceux qui: kels, sont entrés en dette edöbons avec le e- du passé et le –ons neutre (pas le –oms: ce ne sont pas tous des gens de sexe masculin) de la 3ème personne du pluriel. Enfin, avec nous: kol obs.

8. Et ne nous soumet pas à la tentation,

nindukolös in tentadi vs blufodolös: Cette fois c’est la version nulik qui l’emporte en brièveté, le verbe blufodön est voisin de blufön, mettre à l’épreuve, que l’on trouve déjà chez Kerckhoffs. On gagne en prime une interprétation théologique à donner à cette phrase où notre père pourrait nous soumettre à la tentation. La version de Schleyer et le français sont absolument parallèles. On relèvera que pour une fois, dans le verbe nindukön, ce n’est pas un l qui sert de consonne initiale à un radical commençant par une voyelle, mais un n. Notons aussi que la préposition in en rigik a une valeur à la fois statique et dynamique, et que l’on indique laquelle de ces valeurs est visée en changeant le cas du complément: in tentad (sans i) lorsque nous nageons en pleine tentation, in tentadi (avec accusatif) lorsque nous glissons vers la tentation. Le volapük nulik n’utilise pas ces compléments accusatifs et dispose de deux prépositions: in et ini afin de supprimer la nécessité d’utiliser le cas du complément pour faire la différence. De Jong aurait mis ini tentad.

9. mais délivre-nous du mal.

9a. sod vs ab: ab existe déjà en rigik. Sod signifie sauce en nulik. De Jong a visiblement sacrifié l’un des synonymes pour créer cette nouvelle racine.

9b. aidalivolös vs livükolös: Le verbe chez Schleyer est dalivön, livükön chez de Jong. Le –ük– qui transforme un verbe intransitif en verbe transitif laisse supposer dans son dictionnaire un livön intransitif. On a quelquechose du genre quitter (angl. to leave), transformé en faire quitter. Commen en 7, Schleyer fait usage d’un aoriste présent ai-, qui disparaît chez de Jong.

10. Car c’est à toi qu’appartiennent le règne la puissance et la gloire, pour les siècles des siècles.

Wikipedia ne donne pas de traduction en rigik de cette phrase que la liturgie emploie mais qui dans le texte de l’évangile ne fait pas partie de cette prière.

10a. dutons lü ol: apparteniennent à toi, pas appartenir+datif, *dutons ole. Tous les à du français ne sont pas des datifs.

10b. jü ün laidüp: la formule chez de Jong ne reprend pas le latin in sæcula sæculorum, mais donne le sens: jusque dans l’éternité.

11. Amen.

Jenosöd vs so binolös. Comme souvent, une traduction constitue une explication de texte. Pour Schleyer, cela doit(impératif –öd) se passer/se réaliser (le verbe est jenön, comme en 2.). De Jong lui, souhaite(-ös) que les choses soient (le verbe est binön, être) ainsi (so).

Observations

Au delà des divergences grammaticales et des points de vocabulaire, on sent sur cette dizaine de lignes deux soucis différents chez les deux traducteurs: Tandis que Schleyer calque le latin d’aussi près qu’il peut (ce que la traduction française fait souvent aussi), de Jong ne craint pas, quant à lui, de sortir des clous pour rendre le fond plutôt que la forme.

Glidis!

 

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