poser des questions – säkön

Les questions simples se construisent en ajoutant un –li (avec le tiret) après le verbe de la phrase dont on veut savoir si elle est vraie ou fausse:

spikol-li volapüki? tu parles le volapük?

Mais les questions fermées de cette sorte ne permettent pas de faire parler son interlocuteur. Nous avons besoin de pronoms interrogatifs, notons bien: en plus du –li, hein, le –li ne marque pas seulement les questions fermées, il marque toutes les questions. C’est un point d’interrogation audible, si l’on veut.

La racine du pronom interrogatif est ki-, le reste est un jeu de meccano, et se construit au moins pour partie de façon systématique:

On prend la racine ki- et on ajoute ce sur quoi porte la question.

Qui que quoi à tous les cas:

kim: qui est-ce qui fait l’action. Qui apprend le volapük? Kim lernom volapüki? En volapük rigik cette forme ne présume pas du sexe du sujet. En volapük nulik on considère que l’utilisation permanente du masculin par défaut constitue un honteux sexisme, et l’on utilise donc une palette plus généreuse de pronoms. On peut ainsi explicitement demander Qui (quel homme) a besoin de correction politique? Kim nedom menodäli bolitik? Qui (quelle femme) a besoin d’un mari? Kif nedof himatani? On peut aussi utiliser le pronom neutre kin, afin de laisser de côté ce problème délicat et de pouvoir de se concentrer sur l’essentiel: Qui veut de la tarte aux pommes? Kin vilon podatoadi? Ah, et bien sûr on peut aussi poser des questions, Qu’est-ce-qui quand on n’est pas sûr d’avoir affaire à une personne: Qu’est-ce qui s’apprend si facilement? Kis palernon so fasilik?

Ce qu’on peut faire au nominatif (que Schleyer appelait kimfal, le cas kim) marche aussi à l’accusatif, kimifal (comme partout ailleurs en volapük, on ajoute un -i), au datif, kimefal (on ajoute un -e) et au génitif kimafal (on ajoute un -a).

Kimi löfol-li? Qui (quel homme) aimes-tu? Pour celles-et-ceux qui aiment les hommes (J’ai bon avec celles-et-ceux? C’est assez politiquement correct?), Kifi löfol-li? Qui (quelle femme) aimes-tu? Pour celles-et-ceux qui aiment les femmes, et enfin, summum du correct, Kini löfol-li? Qui (et je ne m’aventurerais pas à révéler les préférences sexuelles que j’imagine chez toi, de crainte de t’embarasser) aimes-tu? Comme avant on peut aussi poser des questions sur les choses: Qu’est-ce-que tu aimes? Kis löfol-li?

Kime givol-li kidi? À qui (quel homme) donnes-tu un baiser? (Kid: le baiser, il y a des mots en ki qui ne sont pas des pronoms interrogatif). Kife givol-li kidi? À qui (quelle femme) donnes-tu un baiser? Kine givol-li kidi? À qui (et tu peux en donner aux femmes comme aux hommes, hein, pas mon problème) donnes-tu un baiser? Et comme on peut embrasser les choses aussi: Kise givol-li kidi? Qu’est-ce que tu embrasses?. Une réponse plausible pourrait être: Un osculatoire, par exemple.

Kima pük binon fasilikün? La langue de qui (quel homme) est la plus facile? Et nous interdisons sur ce blog toutes les réponses autres Datuvala, celle de l’Inventeur. À ce titre une question comme Kifa pük binon fasilikün? La langue de qui (quelle femme) est la plus facile?, bien que grammaticalement correcte n’appelle pas de réponse (on serait obligé ou obligée de dire, par example, Pük ela jan Sonia, ce qui est incompatible avec pük Datüvala). La question politiquement correcte, de toute manière évite toute allusion inutile au sexe du créateur de la langue: Pük kina binon falikün? La langue de qui est la plus facile?  Bon, allez, les choses aussi peuvent avoir leur langue, on ne va pas faire de chosisme dans cette grammaire: Kisa pük binon fasilikün? La langue de quelle chose est la plus facile?

On peut aussi poser des questions sur plusieurs sujets, objets, récipiendaires, propriétaires, simplement en ajoutant un s du pluriel, comme on le ferait partout ailleurs dans la langue du monde. Nominatif: Quels sont celles-et-ceux qui apprennent une autre langue que le volapük? Kins lernons püki votikü volapük? Accusatif: Quels sont celles-et-ceux que tu embrasses? Kinis kidol-li? Datif: Auxquelles-et-auxquels donnes tu un baiser? Kines givol-li kidi? Génitif: Kinas kidis ägetol-li? Les baisers desquelles-et-desquels as-tu-reçus?

Quel sorte de, fait comment, etc: utiliser -ik

On peut souvent insérer un –ik dans les pronoms précédents pour demander des précisions sur le type, le fait comment, le quelle sorte de etc. Quelle sorte de langue est enseignée? Pük kisik patidon?, ou bien à l’accusatif: Quelle sorte de langue enseignes-tu? Püki kisik tidol-li? ou pour mieux faire ressortir le i de l’accusatif: Kisiki püki tidol-li? Avec le datif: À quel type d’hommes (mâles) donnes-tu tes baisers?: Kimike givol-li kidis olik? Ou si l’on suppose d’autres préférences: À quel type de femmes (le jargon politiquement correcte réclame-t-il ici femelles, ou j’en ferais trop?) donnes-tu tes baisers? Kifike givol-li kidis ola? Ou plus correctement, sans vouloir indisposer l’interlocuteur: Kinike givol-li kidis ola? À quel sorte d’individus donnes-tu tes baisers? Avec un génitif cela pourrait donner: Kinikas kids binons svedikün? Les baisers de quel genre d’individu sont les plus doux?

On peut compléter ce qui se construit sur kim par l’endrée du dictionnaire de Kerckhoffs:

kim

On voit que le volapük nulik est politiquement correct, puisqu’il a un pronom neutre, mais qu’il permet d’être particulièrement intrusif, puisqu’il autorise des questions avec kim– et kif-… Pire, la série des kim-, qui ne caractérisait pas le masculin exclusivement en volapük rigik prend maintenant cette valeur: Poser une question avec kim– peut être offensant là où il n’était pas possible de prendre la mouche avant. Et avec le nombre de langues qui se comportent comme le volapük originel, ou l’on utilise le masculin par défaut, on est parti pour de nombreux malentendus. Peut-être le politiquement correct de Jong n’est-il pas allé assez loin? Sans doute aurait-il dû supprimer kim– et kif– entièrement!

Cela dit cette histoire de pronom et de genre grammatical, qu’on ne s’y méprenne pas, est fort intéressante. Elle montre d’une part que beaucoup de gens ont intériorisé l’hypothèse de Sapir-Whorf (voir Wikipedia(Fr.), attention, longuet!) et croient vraiment que la grammaire nous rend sexistes, elle montre par ailleurs que parmi eux, beaucoup aussi sont prêts à reprogrammer(subtilement) leurs semblables en leur demandant de réapprendre leur grammaire: Quand l’indo-européen-globalisé demande que les rédacteurs et rédacteuses de documentation mettent une fois sur deux her plutôt que him pour parler de the user, on ne fait pas autre chose que modifier la grammaire. Et en français, introduire des formes en –euse partout, comme supra dans rédacteuse, touche non seulement la grammaire mais aussi le lexique.

Parfois, cela confine au ridicule absolu. On serait tenté ou tentée de croire que l’idéal de cette reprogrammation linguistique recommanderait l’utilisation intensive des formes naturellement neutres plutôt que l’explicitation constante et répétée, fastidieuse autant que redondante, de la possibilité d’un féminin et d’un masculin. Il n’en est rien: En Allemagne, pays dont la langue connaît un neutre, il semble de plus en plus réduit à la portion congrue. Dans les associations ou les partis politiques il se trouve de plus en plus d’orateurs et d’oratrices, de rédacteurs et de rédactrices pour utiliser des formules comme Liebe Mitgliederinnen und Mitglieder! Chers membresses et membres, en gros[exemples]. Dans leur tête, ils veulent certainement bien faire: Les mots finissant en  –er sont souvent masculins, or il convient de mentionner explicitement l’autre sexe. Mais ici, le mot est das Mitglied, au neutre déjà, le mettre au pluriel Mitglieder n’en fait pas (Sainte horreur!) un masculin. Il faut dire que selon toute apparence, le neutre allemand est de plus en plus senti comme masculin, au point que d’aucuns ou d’aucunes participent activement à son éviction: C’est ainsi qu’on trouve souvent la graphie novatrice man/frau pour remplacer le pronom neutre man (le on français) qui paraît-il rappelle trop le mot der Mann, l’homme (mâle). Sur ce point il me semble que le féminisme françait traîne un peu les pieds, et recommande encore l’usage du on. Nous avons à ce sujet un petit secret, à raconter en volapük naturellement: No valiko fümob in deutänapük, va el man vemo tefon ko man. Ab fransänapüko, pönop el on kömon de zänodatimäda fransänapük. Pük at älabon falis tel: kimfal e nekimfal. Suvo, vöds äjinons valiko vodiks en kimfal e nekimfal: man ebinon hom(nekimfal) u on(kimfal). Nekimfal egivon fransänapüko eli homme, vödi siniföl man, sotefo kimfal egivon pönopi negenik. Fopladam ela on binon fopladam fatreigön!

Autres mots en ki-

Bien, on s’est égaré je crois, revenons à nos mots en ki-. Il reste un dernier point à couvrir, qui, sans relation au genre grammatical ne va pas nous attirer les foudres des censeurs et censeuses. On peut former simplement des mots interrogatifs en prenant ki– et en y adjoignant un autre mot. Premier dans la liste: Kio. Ki– pour la question et –o pour l’adverbe, soit, de quelle manière. Mais on peut faire plus explicite encore et utiliser le mot manière, mod, et toujours avec le ki– initial: kimodo. Sur le même modèle on peut construire le mot pour : kiöpo (et se rappeler que beaucoup de lieux où quelquechose se passe sont des quelquechoseöp), voire kiplado, à quel endroit, construit sur plado:place. On peut préciser: Kiläno, dans quel pays ou kizifo, dans quelle ville, voire kisüto (quelle rue), kilido (quel numéro, id indique le quantième), kistöko (quel étage).

Marchent de même les questions sur le temps: Kitimo, à quel moment, kidüpo, à quelle heure, quel jour, kidelo ou quelle année kiyelo.

La quantité (möd) peut se demander pareillement kimödo, la distance (fag) donne kifago, à quelle distance. La profondeur (dib) kidibo, l’altitude (geil) kigeilo. Et on peut poursuivre: la taille (gret/smal) kigreto ou kismalo, le poids (vet/leit) kiveto ou kileito, la vitesse (vif/nevif) kivifo ou kinevifo etc.

Et pour finir, la question qui souvent est souvent la plus ardue, pourquoi, kikodo, construit sur cause, kod. On peut aussi demander dans quel but, kifinoto, kizeilo, kidiseino si l’on est davantage dans le pour quoi.

Eko, nous avons fait le tour de la question des questions. Non, pas tout-à-fait. Il y a encore d’autres mots qui servent à poser des questions. Un exemple fréquent est lio, comme dans lio stadol-li, comment ça va. Il fait horriblement doublon avec kio, comme dans kio stadol-li, et ne s’inscrit dans aucune logique. Bref, c’est du ballast, il déroge au principe de parcimonie et si cela ne tenait qu’à nous il aurait disparu depuis longtemps. Nous ne pouvons qu’inviter chacun et chacune à peser l’apport irremplaçable de lio à la plus grande gloire du volapük et à agir en conséquence.

Paglidolös!